Cet article est paru sur le site : http://www.plongeesout.com à la rubrique « Explorations »
Le Spéléo-Club de GAP vient de pousser un peu plus loin sa connaissance du Puits des Bans.
Depuis 1999, le Spéléo-Club Alpin de GAP a repris l’exploration et l’étude de cette cavité mythique du Dévoluy. Cette année, l’objectif était de voir la suite du terminus de 2005 soit -103 m avec une galerie qui semblait partir à l’horizontale.
Durant le mois de juillet, j’aurai réalisé trois portages pour descendre le bi 20 litres de Trimix fond 11/64, le bi 9 litres de Trimix 19/36 pour la descente et la déco de 63 à 30 mètres, le bi 7 litres de Nitrox 40 et un kit sherpa de petit matériel. La quatrième journée, quatre jours avant la programmation de la pointe, fut consacrée au portage du recycleur oxygène maison et du transport de tout le matériel du siphon 1 au siphon 2. Cette fois-ci, je suis accompagné par mon jeune et fidèle plongeur d’assistance : Christophe PASCAL. Pendant que Christophe finit de monter le bi 20 devant la vasque du S2, je plonge poser les bouteilles de déco à 20 et 30 mètres. Tout se déroule pour le mieux même si la visibilité n’est pas des meilleures. Pour une fois, tout me semble préparé au mieux pour une plongée efficace.
Le dimanche 27 juillet 2006, c’est le jour J.
A 7 heures, nous sommes toujours les deux mêmes, Christophe et bibi, sur le parking du puits des Bans. Avec nous, Christian KUPIEC est chargé du reportage photo et de l’aide au portage retour en post-siphon. Pour tous les trois, le rituel se déroule automatiquement : équipement spéléo terrestre, marche d’approche jusqu’à l’entrée avec sa dernière petite côte qui nous met en sueur et c’est le noir… En moins d’une heure, nous sommes devant le siphon 1 à -208 mètres, un peu moins de 1000 mètres de développement. Il faut dire qu’à nous trois, nous devons comptabiliser pas loin de 500 descentes dans cette cavité. La vasque de notre premier verrou liquide est calme. De la même manière, ce siphon ne semble pas exister tant nous le connaissons. Juste quelques changements dans leur équipement, Christophe et Christian sont prêts. Christophe part devant avec une charge. Christian bataille un peu pour équilibrer son kit photo. Les Pelicases ne semblent pas très adaptées à cet usage : des angles qui gênent la mise en kit, une flottabilité excessive qui met les nerfs du plongeur lotois à vifs. De mon côté, pas de précipitation. J’enfile une à une les couches chaudes avant une dernière de néoprène compressé. Je vais devoir y macérer dedans au moins 6 heures dont 2h30 dans de l’eau à 7 degrés. Autant vérifier sérieusement la position des fermetures. Pour les petits besoins, je teste la couche culotte adulte. Heureusement que le public est très limité car l’effet hilarant est garanti et les sarcasmes vont bon train sur mon compte.
La mise à l’eau est, dans ce siphon, progressive. Le plancher s’enfonce lentement, parallèlement au plafond qui s’approche. Encore vingt mètres de natation avant l’immersion totale. Échec. Impossible de descendre, je flotte trop. Il doit me manquer dix kilogrammes de lest. Comme tout le matériel est déjà devant le second siphon, j’espérai franchir le premier avec seulement le recycleur oxygène et sa bouteille de deux litres. Bon, puisque je ne peux pas descendre, je vais rester en haut. Pieds et mains au plafond, je me déplace comme une vulgaire mouche hydrophile. Le sens de l’orientation en moins. Difficile, dans cette position, de savoir où est la suite et malgré la touille, je suis d’un oeil le fil d’Ariane. Christian ne semble pas apprécier la manœuvre que je viens d’effectuer sous ses yeux alors qu’il souffre toujours d’une flottabilité positive handicapante. Je parviens enfin de l’autre côté, remets de l’ordre dans mon équipement pour la suite post-siphon. Comme Christian n’arrive pas, je me pose et compte les minutes. Il y a un os. Toujours pas de bulle à l’horizon. Impossible de repasser le siphon la tête en bas et espérer aider Christian. Il a été obligé de faire demi-tour, c’est sûr, mais pourquoi ? Dois-je l’attendre ? Finalement, en évaluant le temps nécessaire avant ma mise à l’eau pour la plongée de pointe, j’opte pour une solution de remplacement avec Christophe. Je le rejoins rapidement au siphon 2 où il nous attendait pour lui demander de repasser le S1 et voir ce qui ce passe.
Trois quart d’heure après, je suis prêt, les palmes pendantes dans le rond noir du siphon 2. Christophe arrive quelques minutes après pour me dire qu’il a vu Christian. Il n’a pas compris ce qu’il disait, il grognait tel un ours. Il ne devait pas être dans un bon jour. Nous saurons plus tard qu’il avait fait plusieurs tentatives de franchissement en remplissant de plus en plus son kit de pierres sans réussir à descendre. Et comble de tout, en vérifiant son matériel, il s’est aperçu que le Pelicase avec les flashs avait pris l’eau. Donc, plus de photo possible. De rage, il avait plié bagages pour retourner nous attendre en surface. Nous regretterons beaucoup ses épaules lors des portages retours… Rassuré sur son compte, je m’immerge avec le bi 20 litres à l’anglaise, le recycleur oxygène à poser à 6 mètres et une bouteille de Nitrox 40 pour respirer jusqu’à -30 mètres. Peu chargé pour une fois, la descente se fait rapidement. La programmation est respectée lorsque j’arrive à 30 mètres pour récupérer deux relais de Trimix 19/36 qui m’accompagneront à 63 mètres. Cette partie du siphon devient très verticale mais le plafond irrégulier se révèle un piège à robinetterie. A 63 mètres, je pose les deux relais de 9 litres. J’en suis quitte pour des acrobaties pas prévues afin de retrouver un certain équilibre. Je passe l’étroiture qui, au fil des plongée, me paraît de moins en moins étroite. Finalement, il faudra que j’essaye un jour en configuration normale, bloc sur le dos. Ça doit passer. Ce serait vraiment une bonne chose car les 20 litres à l’anglaise posent trop de problèmes d’équilibre.
La suite est toujours un régal. La visibilité s’améliore. La galerie est d’une régularité rassurante. La descente est rapide mais maîtrisable. -88 mètres, terminus de mon fil d’Ariane, trop court l’année précédente. Cette fois-ci, j’ai prévu large avec plus de 200 m de fil kevlar sur un touret tout inox que je pourrai laisser sur place. Le raboutage est sans histoire et le fil se déroule rapidement. -100, je passe la trémie et mon terminus précédent dans la foulée. La suite est un sol jonché de blocs, un plafond en dents de scie mais avec généralement des dimensions régulières de 1,5 m de large pour 2 mètres de haut. Le siphon ne descend plus. -106 m au compteur et la suite devant mes phares. J’ai la vague impression de jouer à saute-mouton avec les amas de rocher mais, peu à peu, une remontée s’amorce. Déjà 50 mètres de première à -100 mètres. Je suis en limite d’autonomie sur les 20 litres. Le demi-tour s’impose. Je bloque le touret entre deux cailloux. Je prends le chemin du retour un peu déçu : le fond semble atteint. Mais le siphon continu. Après tout, il est peut-être franchissable. Cette idée nous avait toujours paru impossible jusqu’alors. Mais les exploits réalisés à la baume des Anges dans le Vaucluse nous ont montré que plongée profonde pouvait se conjuguer avec franchissement. De plus, nos avancées dans l’exploration de ce puits nous encouragent à persévérer. Sur le papier, le franchissement est possible, oui mais, bonjour l’organisation des plongées et la longueur des paliers dans l’eau à 7 degrés. Perdu dans mes réflexions, le retour se fait sans plus de soucis que l’aller. J’aperçois déjà l’étroiture de -63 mètres même si dans ce sens la galerie apparaît beaucoup plus chaotique qu’à l’aller. Derrière, commence la décompression. Comme toujours maintenant, les premiers paliers sont courts mais profonds. La consommation des gaz de décompression est importante et sa gestion devient un élément essentiel. En 16 minutes de -63 à -30 m, le bi 9 litres se retrouve presque à sec. A trente mètres, je récupère avec joie le Nitrox et sa douce chaleur. Les paliers s’allongent, les bouteilles s’amoncellent autour de mon harnais et mes déplacement se font de plus en plus pénibles. Beaucoup d’efforts pour rester équilibré fait que je m’essouffle doucement mais sûrement. A chaque palier, je fais du rangement. Les paliers se succèdent au même rythme que les nouveaux mélanges. Le palier se termine et je dois passer sur le Trimix pour faire le changement de détendeur. A nouveau un Nitrox mais celui-là est à 50%, une petite sécurité puisque je n’ai paramétré la plongée qu’avec une décompression au 40%. Ça ne coûte pas cher et ça compense les zones moins favorables de la décompression, comme l’effort ou le froid…
-12 m, je m’engage dans la partie horizontale avec six bouteilles dont deux qui me tirent au plafond et deux autres qui m’entraînent au fond. Le matériel racle de tous les côtés et s’accroche généreusement au plafond. Je finis enfin le palier de -9 mètres la tête en bas et les palmes au plafond pour sortir les deux bouteilles alu d’une cloche. La suite de la progression est toujours plus rocambolesque tant je peine à avancer. Cette partie horizontale me paraît bien longue. Le Nitrox se fait rare et le profondimètre s’affole : -11 mètres. M… j’ai fait demi-tour. Cela devait être en débloquant les bouteilles du plafond. Pas le temps de bricoler, les incidents s’accumulent trop vite à mon goût. Je dois le plus vite possible rejoindre le palier à 6 mètres pour récupérer l’oxygène pur. Sans hésitation j’abandonne les deux bouteilles alu à l’origine de mes soucis. Je repasse une troisième fois les vingt mètres de galerie horizontale et je retrouve le recycleur bien sagement fixé au fil. La suite est une longue et froide attente : 45 minutes officielles et 5 de plus pour l’épisode « demi-tour surprise » en sécu.
En surface, je retrouve Christophe qui a encore mis à profit l’attente pour réaliser l’un des douze travaux d’Hercule. Cette fois-ci, il a terrassé les abords du siphon pour en faire une mise à l’eau trois étoiles. Je lui raconte mes réussites mais aussi mes mésaventures. Je lui propose d’aller chercher les deux blocs laissés à 9 mètres pendant que je commence à ranger le matériel. Il sera rapidement de retour en pestant après la visibilité devenue nulle. « – Heureusement que tu as pu mettre les bouteilles sur le fil, sinon, je ne les aurais jamais retrouvées ! » Ensuite, c’est un long ballet de va et vient d’un siphon à l’autre pour ramener le matériel. Il nous faudra à chacun quatre voyages pour laisser la place propre aux niphargus. Nous passerons le siphon en une seule fois à la manière de deux sapins de Noël à la différence que les boules n’ont ni le même volume ni le même poids ! Derrière, François PARRINI, François ALLEOUD et Georges ARCHER nous attendent pour nous alléger un peu. Nous apprécions particulièrement leur coup de main. Chacun se charge au maximum pour laisser le moins de matériel possible. Cependant, il faudra revenir encore deux fois à deux pour remonter les six bouteilles restées au S1.
En résumé, au bilan de cette plongée :
exploration de 50 mètres de nouvelle galerie avec un point bas à 106 mètres et un terminus en remontée douce à – 100 mètres.
Pour la partie sportive :
– second siphon, 1100 m d’altitude, eau à 7 degré C
– le siphon démarre à la cote – 225 m à 1300 mètres de l’entrée d’une cavité peu technique (mais qu’en même…)
Pour la technique :
– plongée en circuit ouvert
– mélange fond (62 à 106 m) Trimix 11/62 dans deux 20 litres
– mélange 30 à 62 m Trimix 20/36 dans deux 9 litres
– descente et déco avec un Nitrox 40 et un Nitrox 50 de 7 litres
– déco 6 et 3 m avec un recycleur O2 maison (merci à Philippe et Didou)
27 minutes de plongée, 124 minutes de déco.
Pour la suite :
– le touret est au fond avec encore 180 m de fil Kevlar à dérouler, avis aux amateurs,
– deux pannes de gaz de déco en fin de paliers. Bonjour les sueurs froides, les yeux rivés sur les manos. Bon, les sueurs froides, c’était facile vu la température de l’eau… Mais une chose est sure, la ligne de déco était vraiment calculée trop légèrement. Je suis sorti avec trois bouteilles de déco vides sur cinq. Grosse erreur d’évaluation même si avec les réchappes j’avais largement de quoi assurer une décompression supérieure. Le froid et la gène occasionnée par les multiples bouteilles ont augmenté par 1,5 ma consommation de déco. C’est énorme.
– visibilité dans la descente 1 m, au fond 5 m, au retour 0,3 m
– deux heures de portage post-plongée pour ramener le matos au siphon 1 (+45 m et -28 m sur 300 m de développement)
– départ le matin à 7h30 et sortie du trou à 18h30, complètement cassé :-/
A qui le tour, car dans ces conditions là, je jette l’éponge : trop dur, trop froid, trop de matos, pas assez de bras…
Mais avec deux recycleurs CCR peu encombrants et solides, un système de chauffage sûr et efficace, des bouteilles de déco de 4 litres à brancher sur les CCR et une troupe de jolies minettes pour le portage et surtout les massages à la sortie, je reverrai peut-être ma décision. En attendant, l’ensemble des conditions fait que la plongée est un peu trop « coup de poker ». Et je ne suis pas joueur.
Allez, bonnes plongées en eaux chaudes