15 années avant de finaliser cette plongée
Dans le Dévoluy, les siphons sont plutôt rares. Pourtant, celui du terminus des Baumettes semble attractif. La cavité est très accessible avec moins de 10 minutes de marche depuis le départ du téléphérique de Bure. Elle est aussi modeste avec 130 mètres de descente sans grande verticale. Le puits le plus profond ne fait que 10 mètres. Il aura fallu pourtant 15 ans pour que je revienne faire une tentative.
Petit retour en arrière. J’avais décidé Jean-Michel à m’accompagner pour un petit portage. A cette époque, je ne connaissais pas le terminus, ni la cavité après -40. A la première étroiture, j’entendais Jean-Michel souffrir. Il faut dire qu’il n’a pas mon gabarit fluet. A la seconde chatière, il n’arrivera pas à faire passer sa cage thoracique. Nous n’étions pas encore à la moitié de la descente. La plongée du terminus était bien compromise. Je gardais le sac d’équipement plongée et un sac bouteille. En mono-bouteille, impossible de m’engager dans le siphon. Mais je pourrai au moins mettre la tête dedans pour voir comment cela se présente. Encore deux ou trois cordes pour les puits restant et me voilà parti à charrier mes sacs dans ce méandre qui n’en finit pas d’être étroit. Enfin le siphon où je plonge la tête, le corps et presque les bottes. Pas question de garder les blocs sur le dos, le siphon est à l’image de la cavité : étroit. Bouteille en avant, ça doit passer mais en gardant la tête sur le côté. Je reviendrai…
C’est ainsi que la semaine dernière, 15 ans après, je suis revenu accompagné de forces fraîches. Échec, une des bouteilles fuyait. Plongée annulée au bord du siphon.
Nouveau dimanche, nouvelle tentative. Évidemment, la tentative avortée de la semaine dernière en a dissuadé plus d’un. A moins que ce ne soit les multiples étroitures…
C’est donc à trois, avec François et Christophe, que nous nous engageons encore une fois dans la grotte. La descente se fait en moins d’une heure, ce qui est rapide, car une bonne partie du matériel est restée dans la cavité. Étrangement, nous trouvons la cavité plus étroite, chaque fois un peu plus. Quelques mètres avant le terminus, un ressaut de 4 ou 5 mètres se fait en désescalade car il n’y a pas moyen de poser des amarrages tant la roche est pourrie. Les strates sont relevées à la verticales et rien ne tient. En m’approchant du ressaut, mon poids déstabilise la strate et la fait s’effondrer sur 20 ou 30 centimètres. Déséquilibré à mon tour, je pars en surf dans le vide. La chute est rapide. J’ai pourtant le temps de compter les impacts contre les parois : tibia, cubitus, main droite, dos… J’imagine déjà les difficultés pour sortir de là avec une fracture. Attendre les secours semble impossible. Il doit y avoir plus d’une semaine de travail pour élargir les passages où la civière ne passera pas. Sans parler des problèmes d’évacuation des gaz dans cette grotte sans courant d’air. L’atterrissage me paraîtra presque doux. Je cours me mettre à l’abri s’il venait l’envie, à la strate, de venir me rejoindre. J’ai un peu mal partout mais vraisemblablement rien de cassé. Une pause pour reprendre mon souffle et je reviens sur mes pas en évitant la zone instable. La dalle qui m’a valu cette chute pend dans le vide comme retenue par un fil invisible. Bien arrimé sur un côté, je repose le pied dessus pour tester sa solidité. La dalle d’une tonne plonge et se fracasse au fond de la faille…
J’attends mes deux acolytes pour les informer sur ma mésaventure et les inviter à ne pas mettre les pieds sur la zone en question. A se demander si j’arriverai un jour à plonger ce siphon. Le calme revenu, nous rejoignons rapidement le fond. Prêt équipé devant le siphon, j’arrime le fil d’Ariane à une colonnette en me demandant si ce fil ne sera pas plus gênant que salvateur ? Les deux petits blocs glissés dans un kit que je pousse devant moi, je me laisse entraîner où ils me tirent. L’exiguïté du conduit m’invite à chercher mon chemin en testant avec mes blocs le passage. La visibilité est quasi nulle. Je pars dans du blanc et me retrouve dans du rouge. Je viens de racler une lentille d’argile. Je comprends que je viens de trouver le fond. Toujours blocs en avant, je cherche donc une suite remontante. Elle est là, complètement sur ma gauche. La galerie fait une épingle. La remontée est aussi rapide que la descente. La surface est là. J’ai enfin franchi ce siphon qui ne doit pas faire plus de quinze mètres. La suite est toujours en méandre, au fil de la rivière. Mais vingt mètres plus loin, un nouveau bouchon liquide. Il ressemble plus à une voûte mouillante qu’à un siphon. Le fond est couvert de cailloux. Je remets le masque que j’ai gardé autour du cou. Après quelques mètres, la voûte du plafond rejoint l’eau. C’est bien un siphon mais il ne semble pas descendre. En apnée, je mets la tête sous l’eau pour mieux apprécier la suite. Pas d’espoir, il faudra faire de la place. Le passage est bien trop étroit pour s’engager. J’avais espéré une grande jonction dans un collecteur encore inconnu. Que nenni.
J’avais donné un laps de temps d’une heure et c’est en 20 minutes que je suis de retour. La suite est bien monotone : rangement du matériel, déséquipement de la cavité sur le retour et toutes les étroitures à repasser dans l’autre sens. C’est à se demander si cette grotte n’est pas qu’une étroiture particulièrement longue…